La France produit beaucoup de diplômés dans les filières de sciences humaines et sociales (lettres, histoire, psychologie…). Pourtant, malgré leur niveau de diplôme, leur accès au monde de l’emploi est difficile. Les étudiants en Lettres et Sciences Humaines présentent en général les concours de la fonction publique, mais il y a un nombre de places limité. Ou souvent, à la fin de leur cursus de lettres et sciences humaines, ils reprennent des études plus spécifiques qui vont leur permettre de se diriger vers un métier plus en phase avec l’économie réelle et leur carrière.
Il est assez incroyable de constater que des personnes de moins de vingt-cinq ans sont aussi déphasées que des seniors par rapport à l’évolution du monde du travail.
Bien souvent, cette situation n’appelle d’autre commentaire que : “il faut diminuer le nombre d’étudiants dans ces filières”. Ces étudiants finissent par être traités comme des inadaptés professionnels, des marginaux qu’il faudrait rééduquer.
La France, productrice de lettrés
Pourtant, ces diplômés possèdent un certain “métier” qui pourrait être une ressource appréciable pour les entreprises françaises qui sont à la recherche de moyens originaux pour rebondir.
Quatre caractéristiques semblent distinguer ces travailleurs des autres jeunes diplômés. Tout d’abord, leur maîtrise de la langue française, non pas seulement d’un point de vue
orthographique, mais d’un point de vue intellectuel, fait d’eux de meilleurs communicants en
interne et en externe. Ils sont bien souvent capables d’expliquer leurs projets et de convaincre les autres d’y adhérer.
Et le fait que nombre d’entre eux aient été formés dans des filières tournées vers l’enseignement ou la recherche les rend plus aptes à formuler leur discours en fonction de leur auditoire tout en étant à l’écoute de ses besoins.
En outre, la proportion de lecteurs de romans est plus importante parmi les étudiants de Sciences humaines. Vous pouvez trouver cette mention étrange. Mais une étude américaine récente montre que les lecteurs de romans ont une plus forte capacité à l’empathie et à l’ouverture d’esprit et donc à la tolérance.
Des managers à l’écoute de leurs équipes
Au sein d’une entreprise, un membre du personnel qui sait écouter et comprendre ses collègues est un atout qui, sans écarter définitivement le passage par la case prud’hommes, peut rendre ce passage moins fréquent. Et de manière générale, il permet aux équipes de mieux fonctionner au quotidien. Les diplômés en sciences humaines et sociales ont une plus forte capacité à se décentrer que les autres.
La maîtrise des langues étrangères
Ensuite, ces étudiants ont une maîtrise des langues étrangères à la fois plus variée (ils connaissent plus de langues) et plus fine (ils les connaissent mieux) que les autres. Sans repartir dans l’habituelle bataille de clichés sur le faible niveau des Français en langues, il convient de souligner que même au sein de ceux qui se prévalent, sur leur CV, d’une connaissance de l’anglais, il y a une indéniable différence entre ceux qui ont appris l’anglais dans The Economist et ceux qui l’ont appris en lisant des romans. Ces derniers ayant un vocabulaire plus riche et une pratique plus régulière de l’anglais.
La maîtrise de la langue, atout majeur
Enfin, à une époque où il semble que la compétition exerce une pression particulière sur les entreprises, et que nombre d’entreprises semblent voir leur salut dans un surcroît de travail, dans une augmentation de leur capacité d’exécution, on peut se demander si le plus grand avantage concurrentiel de la France n’est pas dans l’existence d’une population avec un très haut niveau culturel, qui permet à nombre de ses travailleurs de se prévaloir d’une réelle capacité à concevoir et innover au quotidien.
La culture générale
La culture générale, c’est aussi ce qui permet de développer de la vision, de la distance par rapport à la routine, et d’entrevoir des innovations. Il ne faut pas travailler plus, il faut travailler mieux, avec plus d’intelligence.
Sens de la communication, sens de l’humain, maîtrise des langues et capacité d’innovation. Voilà quatre atouts stratégiques que possèdent souvent les étudiants en sciences humaines. Depuis une quinzaine d’années, certaines initiatives ont pris la mesure de ces qualités.
Les grandes écoles de commerce se sont mises à accepter des masses étudiants issus de classes préparatoires littéraires, et certains programmes permettent à des étudiants de mastère de sciences humaines d’intégrer des grands groupes. Par exemple, l’opération Phénix, pilotée par des universités de la région parisienne mais ouverte à tous les étudiants diplômés d’une université française.
Il faut recruter des historiens
Ces programmes sont considérés comme des succès, par les écoles et les groupes concernés. Cela étant, ils conservent ce travers d’être une forme très avancée de “businesswashing”: de ces étudiants, on ne conserve qu’une qualité : la capacité de travail et non ses qualités secondes, pourtant fondamentales pour une entreprise: parler, écouter, inventer.
En ce sens, ces dispositifs appartiennent déjà à un autre temps. La nouvelle étape doit être, pour les entreprises, de sortir de cette habitude de penser, de cette illusion, que le critère principal de recrutement doit être une formation appropriée, professionnelle et technique.
Certes, pour beaucoup de fonctions, la spécificité des diplômes est le reflet de compétences incontournables à l’exercice d’un métier. Mais, bien souvent, la technicité ou la spécificité des tâches d’un travailleur est moins grande. Les entreprises ont besoin de généralistes, inventifs et réactifs.
Et si nous innovions dans le recrutement des étudiants en Lettres et Sciences Humaines ?
Il n’y a jamais de meilleure période pour innover que les périodes de crise où l’on commence à sentir confusément que toutes les recettes éculées sont en bout de course, et qu’il faut faire différemment. Une immense ressource de notre pays est le niveau général de culture générale !
Alors, employeurs, il ne tient qu’à vous de puiser dans cette ressource pour inventer du nouveau.