Comme nous l’avons vu dans la partie 1 de cet article, il ne faut surtout pas tomber dans le dogmatisme de l’éco-innovation à tout prix. Chaque démarche est propre à l’entreprise, en fonction de son contexte, de ses moyens et de son marché : comme le précise très bien Samuel Mayer, « une entreprise dotée de peu de moyens, sans attentes clients, dans un secteur peu concurrentiel et peu réglementé, n’aura peut-être pas intérêt à prendre un risque business en éco-innovant par une démarche globale et stratégique de développement produit, elle pourra dans un premier temps verdir un peu plus son produit en se contentant d’une démarche plus classique d’analyse des impacts de son produit sur l’environnement».
C’est pourquoi, Samuel Mayer préconise du cas par cas, et des pré-diagnostics d’analyse marketing et stratégique pour voir quel est l’objectif de l’entreprise, sa stratégie par rapport à l’environnement, et les outils et méthodes les plus adaptés à son cas. Si l’entreprise veut plus aller vers de l’écodesign, ou de l’écomarketing, les fonctions de l’entreprise qui sont touchées ne sont pas les mêmes, et les outils diffèrent.
Après un premier article consacré à l’explication de la notion d’écoconception, parlons désormais d’outils et de méthodes.
Une méthode globale et complexe aux multiples visages et aux nombreux outils
La méthode est globale, complexe et normée et se caractérise par deux approches, une approche multicritères puisqu’elle mesure tous les impacts environnementaux dans les différents domaines, eau, air, déchets, consommation de ressources, bruit, etc. et multiétapes puisqu’elle s’intéresse à toutes les étapes du cycle de vie du produit : fabrication, transport, consommation.
La méthode la plus précise aujourd’hui pour faire cette analyse globale est l’ACV (Analyse du Cycle de Vie) : cette méthode recense les flux entrants et sortants et les impacts environnementaux générés par ces flux (augmentation de l’effet de serre, pollution de l’air, pollution de l’eau et eutrophisation, épuisement des ressources naturelles, diminution de la biodiversité, production de déchets.) Il s’agit donc d’un inventaire poussé qui mesure quantitativement les impacts environnementaux sur tout le cycle de vie, ce qui suppose de travailler avec tous les acteurs de la chaîne !
La série des normes ISO 14040 décrit la méthodologie et la déontologie que doivent suivre ces études ACV. De nombreux logiciels d’ACV existent mais ils sont encore très coûteux : une analyse de cycle de vie globale pouvant se monter facilement dans les 50 000 euros, pour une petite PME, cela représente de sacrés frais à engager…L’ACV est une démarche complexe, il est donc conseillé de faire appel à des spécialistes.
Mais attention, il n’est pas forcément nécessaire de tout quantifier parfaitement avec une ACV, lourde, complexe et onéreuse, surtout pour les PME, pour se prévaloir de l’engagement dans une démarche d’écoconception. Les principaux impacts peuvent tout à fait se mesurer par d’autres méthodes plus simplifiées. « il existe en effet une multitude de méthodes pour s’engager dans une démarche d’écoconception »comme le rappelle très bien Philippe Schiesser. « L’important c’est bien de faire une analyse holistique sur l’ensemble du cycle de vie, l’ACV est certes l’outil le plus précis et le plus sensible car il travaille sur tous les flux qu’il traduit en impacts mais il y en a plein d’autres, les outils d’analyse environnementale publics dont le bilan Produit de l’ADEME, les outils privés, sectoriels, il existe même un outil d’analyse pour les designers », renchérit Samuel Mayer.
N’utilisez donc pas l’argument de la complexité pour ne rien faire, une démarche d’écoconception peut-être progressive en travaillant sur les étapes pertinentes et les enjeux environnementaux importants : faire une analyse de cycle de vie simplifiée (ESQCV) en réduisant l’étude à une étape du cycle de vie, ou encore à un domaine environnemental en faisant une ACV monocritère, par exemple, sur la quantité de CO2 émis ou sur la quantité de déchets…Gare ceci dit dans les évaluations simplifiées aux transferts de pollution sur une autre étape en diminuant l’impact environnemental d’une autre étape du cycle de vie.
Encore une fois, l’important est d’utiliser les bons outils en fonction des objectifs et des fonctions concernées dans l’entreprise.
Philippe Schiesser est de toute façon catégorique, l’ACV n’est pas le seul moteur des démarches d’écoconception, « Des choix technologiques peuvent tout à fait être à l’origine de démarches d’écoconception comme en témoigne la mise sur le marché des technologies LED à moindre impact environnemental ». Des ruptures technologiques pilotent le changement de la conception qui se tourne intuitivement vers des choix plus respectueux de l’environnement.
De plus rajoute Philippe Schiesser, « l’ACV n’est pas forcément pertinente dans les premières étapes de la conception et du développement produit, pauvre en données quantitatives sur les poids et les matières notamment ».
Il précise néanmoins que« l’ACV reste intéressante pour des entreprises très motivées, poussées par une demande client particulière et surtout dotées des capacités d’ingénierie nécessaires », autant dire que ce n’est pas le lot de beaucoup de petites PME ! Travailler sur l’efficacité des processus et des procédés demande des bases de données poussées et un système de qualité très structuré pour suivre les indicateurs de performance environnementaux, ce qui n’est pas la panacée des petites entreprises. De plus, Il s’agit d’une démarche de fond qui associe R&D, innovation et impacte fortement les métiers de la conception, parfois réticents à de telles démarches complexes, lourdes, nécessitant des logiciels coûteux, des bases de données interfacées et dont en plus ils ne sont pas certains des résultats qu’ils recherchent, « l’amélioration fonctionnelle du produit ».
Néanmoins, le futur va dans ce sens puisque les nouveaux logiciels de conception des produits intègrent de plus en plus des modules d’ACV permettant un accès plus facile aux informations environnementales. Néanmoins, soyons réalistes, comme le dit Philippe, « le critère environnemental n’est qu’un critère supplémentaire, à la recherche d’une technologie et d’une performance équivalente du produit, il n’est pas sûr qu’il l’emporte ». Enfin, cette démarche permet quand même d’inciter les concepteurs à mettre du « green » et des prescriptions environnementales dans leurs cahiers des charges ! Tout ceci servant évidemment l’entreprise dans sa démarche responsable et dans son reporting RSE aux prises avec les attentes de plus en plus poussées de ses parties prenantes. Et comme le dit encore une fois très bien Philippe, « l’ACV est le juge de paix pour mesurer les impacts des produits et communiquer de façon la plus transparente qui soit sur les indicateurs de performance ».
Et les coûts ?
Comme le précise bien Samuel Mayer, « il y a un surcoût au départ notamment au niveau de la montée en compétences nécessaires et des investissements outils mais plus les projets se développent, plus les coûts diminuent ». Quand l’innovation repose avant tout sur les sous-traitants, le retour sur investissement peut déjà se faire sentir plus facilement. Quoique, ce n’est pas si simple, alors ne faisons pas de généralités.
Ce qui est sûr c’est que d’après une étude ADEME, une grande majorité de entreprises qui ont entamé une démarche d’écoconception ont continué par la suite : pas de « one shot » donc dans ces démarches. C’est encourageant !
Quant à l’étude qu’a menée le Pôle Ecoconception de la CCI de Saint-Etienne en 2008 sur les coûts, elle est très éclairante sur deux points, 1/3 des entreprises qui ont éco-conçu leur produit ont augmenté leur vente et leur marge brute. Et surtout, ce sont celles qui ont travaillé sur la phase d’utilisation du produit et non sur les matières premières entrantes ou la fin de vie du produit qui ont eu de tels résultats.
En parlant de résultats, si justement nous allions voir quelques exemples concrets ?
Des exemples parlants
L’entreprise Optilia, bureau d’études spécialisé dans l’agencement de locaux, a notamment éco-conçu une chambre d’hôtel 3 étoiles en travaillant sur l’écoconception et l’ecodesign. Elle utilise des matériaux respectueux de l’environnement choisis en fonction de leurs critères d’usages et des bénéfices d’usages. La chambre est créée à partir de matériaux nécessitant moins d’eau et de produits chimiques, les produits sont composés à 100 % de ressources naturelles et les résultats sont plus que prometteurs : cette chambre concurrence d’ailleurs toutes les chambres d’hôtels traditionnelles ! Au passage, l’éco conception n’est donc pas réservée aux produits, elle peut tout autant concerner les services.
Quant à CVP packaging, qui fabrique des emballages de beauté cosmétique, de l’alimentaire et de la chimie, ils ont développé une marque So green qui permet de repérer les emballages issus de la nature ou valorisés. Michel Lehembre, PDG, précise bien d’ailleurs « Tous nos emballages flacons et pots sont fabriqués en PEHD 100 % végétal et notre entreprise s’inscrit bien dans une démarche craddle to craddle, qui garantit qu’un produit doit pouvoir, une fois recyclé, être réutilisé ou valorisé dans un autre domaine d’application, assurant ainsi zéro pollution et 100 % de recyclage » et Jean-Michel ajoute, « cette démarche permet à l’entreprise de se différencier et de répondre à une réelle attente clients ».
Enfin comment ne pas parler de l’exemple de Pocheco, une entreprise du Nord Pas de Calais spécialiste de l’enveloppe de mise sous pli automatique, qui a développé l’enveloppe Oxymore, une enveloppe écoconçue, qui bénéficie d’ailleurs du label NF environnement : « Notre enveloppe est à la fois meilleure pour l’environnement et moins chère pour le client, autant dire que c’est bénéfique pour tous » précise Medhi Dutheil, responsable de la relation avec les grands groupes. Malgré que le marché du papier de l’enveloppe soit d’ailleurs sinistré, Pocheco arrive à tirer son épingle du jeu en tant qu’indépendant spécialiste du marché de l’enveloppe de gestion et peut porter à son actif de gros clients comme SFR et le Crédit Agricole. Et Medhi Dutheilde rajoute « que leur capacité à innover sans cesse pour apporter toujours plus de valeur ajoutée pour le client leur permet de mieux concevoir l’enveloppe en travaillant sur la composition et l’utilisation de l’enveloppe, avec trois axes clefs dans leur démarche, la baisse des impacts sur l’environnement, la diminution de la pénibilité des postes de travail et les gains de productivité ». « Certes l’investissement de départ a été important mais le retour sur investissement est rapide et nous démontrons aujourd’hui qu’il est moins coûteux de produire en respectant l’environnement » conclue Medhi Dutheil.
Ces trois PME ont d’ailleurs reçu un prix de la part d’Alliance, une association du Nord-Pas-De-Calais qui accompagne les entreprises dans leur démarche de RSE, lors du concours sur l’Ecoconception qu’elle a organisé en 2012.
Et comment le promouvoir auprès des PME ?
Enfin, il ne faut pas se leurrer, toutes les entreprises ne sont pas aussi en avance et pour aider les PME toujours plus démunies que les grands groupes pour engager de telles démarches, il faut trouver la motivation qui fait le lien avec le business : et pour aller dans ce sens et inciter les entreprises à s’engager, les CCI ont leurs rôles à jouer : en tant que relai incontournable d’appui au développement économique des PME, elles montent des opérations collectives pour accompagner les PME dans ces démarches, appuyées de surcroit par des consultants experts. Philippe Schiesser est l’expert retenu pour l’opération collective « Eco-concept » pilotée par la CCI de Paris Seine-Saint-Denis qui accompagne 24 PME dans des démarches d’écoconception. Et il ressort très bien d’après Philippe que « promouvoir et vendre cette démarche auprès des PME en tant que méthode d’efficacité des procédés et processus est insuffisant, les entreprises ont besoin de créer de la valeur en collaboration avec leurs parties prenantes pour toucher leur marché ». L’écodesign a en ce sens de belles heures devant lui qui l’attendent. Travailler main dans la main avec des clients et fournisseurs stratégiques permet par exemple de développer des filières innovantes, notamment sur les déchets en développant par exemple le surcyclage qui permet de conserver la matière pour en faire un produit source de plus grande valeur, typiquement, des bâches de camion transformées en sacs à main de luxe !
Un futur encourageant source de nouveaux business model
En tout cas ce qui est sûr, c’est que l’écoconception amène au développement de nouveaux business model innovants : l’écodesign est déjà bien partie, l’innovation avec les usagers va quant à elle très certainement aussi se développer dans les années à venir, pour répondre au besoin de plus en plus impérieux des clients de simplification et de facilitation d’utilisation des produits, tel est le futur, comme le prédit bien dans son livre Thierry Kazazian, « l’âge des choses légères ».
Et l’avenir dans l’éco-socio-conception ?
Les grands groupes ont quant à eux désormais intégré que la RSE pouvait être réellement stratégique et créer de nouveaux avantages concurrentiels : en quête de nouveau moyens de se différencier et poussés par un contexte réglementaire et sociétal de plus en plus exigeant, ils ne tarderont pas à intégrer les « aspects sociaux » dans le cahier des charges du développement des produits : la manière de fabriquer son produit a de beaux jours devant elle…
Alors à vos cerveaux, les ingénieurs, les designers, les marketeurs… soyez créatifs, il y a de quoi faire !