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Entrepreneur

Interview de Arnaud Ayrolles, Fondateur de NAP

Rencontre avec Arnaud Ayrolles, jeune entrepreneur toulousain de 34 ans, qui a fondé le groupe de distribution NAP, spécialisé dans le commerce de proximité, et qui a acquis en décembre 2014 la majorité du capital des enseignes Maison de la Presse et Mag Presse.

Comment en êtes-vous venu à l’entrepreneuriat ?

J’ai fait des études en alternance dans les années 2000, notamment dans le milieu des start-up du secteur internet. Pendant mes années post-bac et jusqu’à l’éclatement de la bulle internet, j’ai créé des entreprises en parallèle. J’ai d’abord fondé une société de décor scénique avant de m’associer dans un projet de construction de parc à thèmes dans le domaine des sports mécaniques. Pour servir le développement de la boîte, nous avons réalisé une belle levée de fonds d’1,5 million d’euros. Nous étions en train de structurer le second tour de table quand la bulle internet a explosé en 2001. Cela nous a porté un coup fatal et nous avons été obligés de déposer le bilan. Résultat : en cinq ans, j’ai créé deux entreprises et j’ai connu le tribunal de commerce à l’âge de 22 ans…

Entreprendre constituait donc pour vous une volonté dès le départ…

Oui. Je me suis même associé plus jeune, à l’âge de 16 ans. Mais je ne me suis jamais vraiment posé de questions, tout s’est passé naturellement. Une première expérience de création en a appelé une seconde, puis une troisième, etc. Pour l’anecdote, avant de passer le Bac, vous savez qu’il faut faire des vœux pour déterminer l’endroit où l’on veut étudier. Eh bien, avant qu’on ne me pose la question, je ne me l’étais moi-même jamais posée !

J’ai fait des vœux, comme tout le monde, qui n’ont pas été respectés. Puis je me suis construit au fur et à mesure des rencontres et des opportunités. J’ai vécu ma seule expérience en tant que salarié après l’échec de mon second projet en 2001/2002. J’ai dû faire mon CV pour la première fois à ce moment-là ! Et j’ai intégré la banque d’affaires Barclay’s pendant deux ans. Il s’agit de mon seul contrat de travail classique.

Quel regard jetez-vous sur votre parcours ?

Je dégage beaucoup de positif de mon parcours réalisé en alternance. Mes nombreux stages ainsi que le fait d’avoir commencé à travailler très jeune ont été très structurants pour moi. Cela m’a permis à la fois d’avoir une approche du monde de l’entreprise et de savoir ce qu’est réellement le travail. C’est très structurant car vous ne devez pas vous « adapter » à la vie professionnelle. Au contraire, vous en faites directement partie ! Il n’y a pas eu de rupture dans mon parcours, je n’ai pas le sentiment d’être passé d’un système à un autre.

De quelle manière a débuté l’aventure du groupe NAP ?

Je travaillais encore chez Barclay’s. Mes deux associés d’aujourd’hui, Jean-Charles et Olivier, qui étaient des copains d’études, sont venus me trouver pour me proposer l’idée. Il s’agissait de créer des jouets dédiés à l’univers du football, car Jean-Charles était un footballeur dans l’âme. Très vite, je me suis pris au jeu. J’allais de moins en moins au bureau et de plus en plus dans le garage où nous développions l’avant-projet depuis 6 mois. J’ai négocié un licenciement avec mon employeur qui a accepté. Dans les années 2003/2004, nous avons commencé à commercialiser chez les marchands de journaux des petits maillots de football à l’effigie des joueurs de Ligue 1. Il s’agissait de concurrencer les autocollants paninis de l’époque.

Quelles ont été les grandes étapes marquantes dans l’évolution de l’entreprise ?

L’entreprise a été créée en mars 2004. Nous avons fait notre première mise sur le marché national en 2005/2006. Nous étions distribués chez tous les marchands de journaux de France. Jusqu’en 2009/2010, nous nous sommes attachés à structurer notre force de vente. Rapidement, nous nous sommes aperçus qu’en France, il demeurait très compliqué d’être distribué chez les marchands de journaux. C’est pourquoi nous avions décidé en 2009 de créer une structure pour s’auto-distribuer. C’est la naissance du groupe à proprement parler.

Quels changements avez-vous opérés dans le business ensuite ?

Nous nous sommes rendu compte que les marchands de journaux, en mutation, cherchaient à renouveler leur offre de produits. Parallèlement, avec la crise, nos confrères du marché du jouet cherchaient des nouveaux réseaux d’écoulement pour leurs produits. Ils se sont progressivement tournés vers notre réseau de distribution. Résultat : notre filiale est passée en trois ans de 0 à 12 millions d’euros de chiffre d’affaires ! Nous avons donc laissé s’éteindre notre métier historique pour nous investir dans cette voie. En effet, nous avons travaillé de façon très proche avec les marchands de journaux, en leur proposant de plus en plus de produits et de services à distribuer : téléphonie, papeterie, librairie, etc. Nous sommes ensuite entrés au capital des enseignes Maison de la Presse et Mag Presse en 2012, puis en sommes devenus majoritaires fin 2014, dans le but de structurer et de développer ce réseau de 1600 magasins.

Quel regard portez-vous sur le commerce de proximité aujourd’hui, à l’heure de la mondialisation et du tout connecté ?

Notre système de distribution reste particulier. Tous les mastodontes de la grande distribution ont tué les épiciers dans les années 1970/1980. Par exemple, les petits magasins de jouets de quartiers ont disparu au profit de grandes enseignes situées en périphérie. Résultat : en proximité, il n’existe plus grand-chose à part peut-être dans les grandes villes. Depuis 2010, cette tendance s’inverse. Tous les grands distributeurs se sont mis à recréer de la proximité, en ouvrant des points de vente en centre-ville pour répondre à la demande croissante des consommateurs.

Quant à nous, nous nous situons à la convergence de toutes ces orientations. Nos points de vente sont toujours restés des commerces de proximité, malgré la concurrence de la grande distribution, car nous possédions des activités réglementées (tabac, jeu) qui apportaient un important volume d’affaires. Aujourd’hui, nous voulons nous positionner comme un multi-spécialiste, c’est-à-dire à la fois un magasin de jouet, une boutique de services téléphoniques, un libraire, etc. Nous défendons une vision de la proximité, un vrai service client avec une forte amplitude horaire, une ouverture tardive et le dimanche.

Et votre regard sur le secteur de la presse ?

La presse en un chiffre, c’est environ 5 % de baisse récurrente tous les ans depuis 5 ou 6 ans. à la longue, cela pèse sur le business. L’offre est déjà très large car les éditeurs abondent les points de vente en titres. Elle est sans doute même trop large : pour un sport lambda, le lecteur peut acheter une dizaine de magazines différents. Cela devenait presque surréaliste avant qu’Internet n’arrive et ne contribue à la réduction de l’offre.

Aujourd’hui, en tant que titre de presse papier, il faut posséder une véritable valeur ajoutée car le contenu est en libre accès sur le web. L’idée que je me fais de la presse de demain est la suivante : une offre raccourcie, mais une presse haut de gamme, avec un contenu rédactionnel étoffé, des articles poussés, de l’analyse et du décryptage. Je prédis une distribution qui va se raréfier quantitativement mais se développer d’un point de vue qualitatif.

Si le secteur de la presse est tant que cela en difficulté, comment avez-vous fait pour redresser la barre du navire ?

Nous portons le nom « Maison de la presse », mais pour autant, la presse ne représente que 15 % du chiffre d’affaires de notre réseau, soit environ 280 millions d’euros sur les 1,9 milliards réalisés. Le modèle économique de nos magasins repose sur de nombreux autres revenus. La chute des ventes de la presse contribue certes parfois à la baisse de la santé économique de points de vente, mais elle ne constitue pas l’unique raison. Avant de reprendre une enseigne de presse, j’ai d’abord repris une enseigne au sens large, c’est-à-dire des fonds de commerce, des entrepreneurs, des commerciaux… La recette pour redresser un tel secteur n’est pas miraculeuse, il faut simplement s‘adapter aux tendances actuelles de consommation qui se basent sur l’usage massif du digital. Nous voulons donc parvenir à faire muter nos magasins pour coller au besoin des consommateurs en leur offrant des services digitaux.

Justement, quels sont vos projets pour le groupe ?

Il y a deux ans, nous avons décidé de centraliser l’ensemble du système d’information et des caisses enregistreuses de notre réseau. Nous allons ainsi pouvoir construire beaucoup de choses, et notamment gérer une offre digitale complète et exhaustive, de l’abonnement presse à l’achat de livre ou de contenu en passant par la gestion de la base clients et des cartes de fidélité au niveau national. Nous avons par exemple lancé un service en partenariat avec Free : nous distribuons leurs abonnements.grâce à des bornes installées en magasin qui délivrent une carte SIM en moins de 3 minutes. De manière générale, nous entendons mettre en œuvre toutes les bonnes pratiques du monde du retail au sein d’un réseau d’indépendants qui n’était jusque-là pas structuré sur tous les plans  et notamment en matière d’achats groupés.

Comment conciliez-vous la vie professionnelle et la vie personnelle ?

Avec les amplitudes horaires et les nombreux déplacements, il est évident qu’il y a une part de sacrifice sur la vie personnelle. Au début, je passais beaucoup de temps dans l’entreprise sans être forcément très efficace. Aujourd’hui, j’essaye d’être plus rationnel, de m’accorder des moments de liberté. La maturité vient avec l’âge. Nous ne partions pas en vacances en août, de peur qu’il se passe quelque chose en notre absence. Aujourd’hui, je pars sans difficulté 3 ou 4 semaines ! J’ai appris à mieux gérer mon stress.

3 Conseils d’Arnaud Ayrolles

  • Le travail est primordial ! Il ne faut pas compter ses heures, surtout au début.
  • Vous vivrez sûrement des doutes dans les premières années, mais il ne faut pas avoir peur de remettre en cause votre modèle. Le premier business plan que vous avez écrit n’est pas le bon. Il va falloir le déchirer 3, 4 ou 5 fois avant de trouver le bon modèle.
  • N’ayez pas peur de vous tromper ! L’essentiel, c’est de s’adapter en permanence. Avec mes associés, nous avons une devise : « la meilleure stratégie, c’est de savoir s’adapter. »

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