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Entrepreneur

OpenWork, le « future of work », aujourd’hui !

Jean-Hugues Zenoni, président d'OpenWork

S’étant jeté une première fois à l’eau à seulement trente ans, Jean-Hugues Zenoni connaît bien l’univers entrepreneurial. Cette fois, il n’est pas seul dans le bateau et son cap dépasse l’individu. Le dirigeant voit plus grand et s’attaque au collectif. Pour lui, OpenWork, c’est avant tout changer le monde du travail.

Quelle a été votre vie avant l’entrepreneuriat ?

Il y a trente ans, à l’occasion de ma troisième année en école de commerce à l’EBS (European Business School), je suis parti six mois à l’étranger, sans doute ce qui m’a donné le groove international. À l’obtention de mon diplôme, plusieurs choix s’offraient à moi : intégrer un grand groupe type CAC 40 ou m’orienter vers d’autres structures. J’ai finalement opté pour la seconde option et rejoint une société hollandaise, Pierson Export, spécialisée dans la distribution de produits en Afrique et dans les DOM-TOM. J’hérite de la région Caraïbes et n’ai que 23 ans lorsque je suis nommé responsable de zones telles que la Martinique, la Guadeloupe ou encore la Guyane. Je me suis retrouvé à six heures du matin, pour un rendez-vous, dans une rue de Cayenne avec un Chinois qui m’attendait avec ses petites lunettes et son ventilateur, au milieu d’un entrepôt et des rats. Je me déplaçais là-bas pour vendre des conteneurs de produits, alimentaires ou non, car il n’y avait ni téléphone ni ordinateur à l’époque. Une fois à mon hôtel, je demandais à passer derrière le comptoir afin de retranscrire mes bons de commande par Télex. Cette période s’est révélée très formatrice mais, au bout d’un an à naviguer entre les cocotiers, je ne me voyais pas faire cela toute ma vie.

Qu’est-ce qui vous a donc conduit à créer votre propre société ?

Je suis d’abord parti au siège de Canon France, au sein duquel je suis resté deux ans en tant qu’assistant chef de produit. Nous disposions alors de budgets colossaux, environ un million de francs par mois, pour promouvoir le fax, et qui faisait déjà le buzz au niveau mondial. J’ai ensuite poursuivi au sein de cette même entreprise au département grands marchés bureautiques pendant quatre années supplémentaires. À ce moment-là, je cartonne, me classe meilleur commercial sur 220 et pars à Tahiti, aux Seychelles, au Kenya… Puis, je décide de fonder ma propre société parce que j’ai trente ans, parce que j’ai gagné beaucoup d’argent et qu’à ce stade, j’ai toute l’immaturité et toute la puissance de feu de quelqu’un qui est sûr de son talent. D’un autre côté, entreprendre a toujours été une évidence pour moi. J’aime être indépendant, me projeter, convaincre et fédérer. Mon grand-père et mon père étaient, eux-mêmes, des commerçants donc j’ai été baigné dans cette relation de s’endetter pour s’enrichir, d’être face à des doutes, des choses qui fonctionnent et d’autres non. Elle constitue une part de l’héritage familial que j’ai reçue. Même s’il y a une inconnue, il faut essayer de la maîtriser au mieux. C’est là une composante essentielle du quotidien d’un dirigeant.

Dites-nous en plus sur cette première entreprise…

Ma première société s’appelait Eresco et œuvrait dans la distribution de Compact Disc (CD). J’achetais des catalogues de musiques à Cannes au mois de janvier, je récupérais les droits d’auteur et d’exploitation, et les revendais à la grande distribution ainsi qu’aux grandes entreprises. Au bout du compte, j’ai vendu près de dix huit millions de disques mais la grande distribution m’a mis à genoux en termes de rentabilité. À cet instant-là, je ne vois pas comment remonter la pente, surtout que le produit, lui-même, était en train de se casser la figure… Ce sera finalement un jeune de vingt-six ans qui reprend le flambeau, quant à moi, je retourne dans le salariat, plus précisément dans l’univers des télécoms. D’abord, chez WorldCom, jusqu’à sa faillite en 2002 à la suite du scandale de manipulations comptables. J’intègre ensuite une autre société américaine, Sprint, en tant que commercial grands comptes, où je gère les relations avec Air France ou le Crédit Agricole, par exemple. Sauf que je perds de vue mon terrain de prédilection, à savoir les relations interpersonnelles. Au même moment, je rencontre l’ancien Directeur général de Geoservices, Benoit Debray, qui m’affirme être en passe de créer une structure qui allait changer le monde du travail, et me propose d’en être. Six mois plus tard, après avoir négocié mon départ de chez Sprint, j’étais dans le bateau.

Qu’est-ce que Le Monde Après ? Et quel lien avec OpenWork ?

Le Monde Après, créée en 2011, renvoie au nom originel de la société. Il évoque le monde tel qu’il est après l’arrivée d’internet, le fait que rien ne soit plus pareil désormais, ses relations avec les autres, avec son travail, sa manière de consommer, de se loger… Le logo (en forme de bateau, ndlr) symbolise Christophe Colomb et son départ vers un nouveau monde. On ne sait pas trop ce qu’on va trouver mais on y va. Pour les digitaux natifs, cela semble être une évidence mais nombreux sont ceux qui ont subi ou choisi un parcours professionnel évolutif. Certains perçoivent leur avenir comme porteur d’opportunités alors que d’autres le voient comme incertain et se demande ce qu’ils vont pouvoir faire pendant les années qui précèdent leur retraite. Il y a là une instabilité permanente. Cette idée rejoint celle du « Future of Work », qui souligne le fait que, dans plein de domaines, les habitudes évoluent et que le monde du travail n’échappe pas à cette règle. Pour les salariés, c’est l’occasion de sortir des structures pyramidales et d’utiliser de nouveaux outils afin de fluidifier les relations employeur / employés. Ce dernier tend à devenir une sorte de séducteur pour attirer les talents, le rapport de force s’équilibrerait ainsi parfaitement grâce à cette réciprocité. En interne, nous encourageons, au sein même des contrats de travail, nos salariés à s’engager dans plusieurs expériences professionnelles. Pour revenir au nom de la marque, nous nous sommes rendu compte que nous avions besoin d’être présents à l’étranger étant donné que nous recevions de plus en plus de demandes en provenance de l’extérieur du territoire. Il fallait donc trouver un autre nom à consonance plus internationale et nous avons opté pour celui d’OpenWork.

En quoi la notion de portage salarial mais aussi celle de « care » répondent-elles aux besoins des nouveaux modes de travail ?

D’abord, le portage salarial est devenu une sorte de couteau suisse qui permet un exploit assez unique en France : celui d’avoir la possibilité de profiter, en tant qu’entrepreneur, d’avantages propres au protectorat salarial. On dispose du meilleur des deux mondes ! Travailler différemment avec un mono-employeur, Le Monde Après, multi-clients et multi-pays. Ensuite, pour la notion du « care », d’un côté, il y a des entreprises qui ont peur de recruter parce qu’elles n’ont, pour ainsi dire, pas de visibilité sur leurs bons de commande. De l’autre, des salariés pour lesquels l’inconnu effraie. Sur le plan émotionnel, beaucoup résistent tant bien que mal à un job qui ne leur plaît pas forcément, à des tensions professionnelles entre collègues, à des objectifs toujours plus élevés… C’est très destructeur et contre-productif. L’enjeu demeure de sortir de cette spirale qui dit qu’il faut aller mal pour aller mieux. À l’inverse, il faut donner du sens à l’individu pour que le collectif en ait également. C’est là l’objectif central et absolu de notre société et c’est ce qui nous guide depuis le début.

Vous avez plusieurs sociétés à votre actif… Qu’est-ce qui a été le plus dur, pour vous, tout au long de cette aventure ?

L’impact familial. J’ai, à ce propos, trois enfants âgés de 11, 15 et 17 ans et leur donner les clés du monde actuel reste un vrai challenge. Soit on a 25 ans et on n’a pas fondé de famille alors cette problématique importe peu mais, pour ma part, il a été très compliqué de faire comprendre à mon entourage cette prise de temps forte. Une entreprise est comparable à un enfant qu’il faut suivre, lui apprendre à marcher, aiguiller et cela nécessite une attention à chaque instant. J’ai également vécu un point de passage important, ce moment où l’on rame dans un marais, on sort à peine de l’eau mais, malgré la fatigue, on y croit. Ce fameux passage remonte en juillet 2015. En un mois, nous avions facturé 700 000 euros d’honoraires de consultants. J’étais époustouflé et j’ai ressenti comme une sorte de déclic physique. C’était la même sensation que lorsqu’on boit un chocolat chaud en plein hiver ! Nous venions, en réalité, de franchir un cap, cela ne serait alors plus jamais comme avant. Aujourd’hui, nous facturons en moyenne 2,5 millions d’honoraires par mois, soit cinq fois plus et, pourtant, cela est presque devenu une normalité ! Au final, cette période était, pour moi, véritablement marquante.

Aujourd’hui, quelle est votre plus grande fierté entrepreneuriale ?

Avoir réussi à convaincre des centaines de personnes de la pertinence de notre offre. Être parvenu à facturer des consultants en pounds, en dollars, en couronnes danoises… Voir que notre société peut supporter tout le stress qu’implique l’international et aussi que nos outils de production sont extrêmement fiables. Et enfin, avoir réussi à convaincre deux partenaires clés d’investir dans Le Monde Après, Securex et The Family (entrés au capital fin 2017 et qui détiennent respectivement 20 % et 4 %, ndlr). Nous avions jusque-là tout fait en lean management. Nous avons démarré dans une chambre de bonne, avant de rejoindre un espace de coworking, et avons toujours fait très attention aux budgets. En ce qui concerne les levées de fonds, nous avions été repérés par des industriels et des banques. Pour le cas de Securex, leur logique de créateur, de constructeur et de durée nous a séduits. Contrairement au modèle classique des start-up qui veulent exploiter leur idée et lever rapidement des fonds, nous voulons changer le monde du travail et nous donner du temps pour le faire, tout en étant extrêmement ambitieux et efficaces en termes d’exécution. Nous avons ainsi trouvé en Securex un partenaire de stabilité pour nous épauler tout en nous laissant le temps d’agir.

Quelle est la prochaine étape ?

Nous prévoyons une extension en Europe (ils ont déjà ouvert la Belgique et le Royaume-Uni, ndlr) après un récent renforcement du maillage territorial en France avec l’ouverture de cinq bureaux en province, en plus de Paris et Marseille. Pour 2019, nous visons particulièrement la Hollande et le Luxembourg. Prochaine grande étape : créer une espèce de G20 du monde du travail en faisant en sorte que les salariés soient boostés par les opportunités et non régis par des normes ou des contraintes.

5 Conseils de Jean-Hugues Zenoni

  • Cultiver sa bonne humeur car elle représente une piste d’atterrissage pour les opportunités.
  • Avoir une vision claire de son projet, pourquoi nous voulons changer le monde du travail ?
  • Booster la culture d’entreprise et l’esprit du Care.
  • La stratégie est un art d’execution. Après un moment d’étude de marché, il faut arrêter l’introspection et se lancer dans le projet.
  • S’associer avec des personnes complémentaires.  Que cela se fasse en interne avec des associés ou en externe avec des partenaires clés, l’association demeure fondamentale.

« Certains perçoivent leur avenir comme porteur d’opportunités alors que d’autres le voient comme incertain et se demande ce qu’ils vont pouvoir faire pendant les années qui précèdent leur retraite. »

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